Le Lac des cygnes est un ballet en quatre actes, créé au Théâtre Bolchoï de Moscou le 4 mars 1877 (20 février ancien style) sous la direction de Semen Riabov et chorégraphié par Julius Reisinger. La musique est de Piotr Ilitch Tchaïkovski (opus 20) et le livret, de Vladimir Begichev à partir d'une vieille légende allemande. Malheureusement, à l'époque, le public, peu habitué à une musique si « symphonique » pour les ballets, ne comprit pas la richesse de la partition. Ce problème, ajouté à la chorégraphie et à la direction plus que médiocres de Julius Reisinger, firent que les premières représentations furent une « déconvenue humiliante » (Tchaikovski). Ainsi que l'avait demandé le Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, Marius Petipa et Lev Ivanov modifièrent la chorégraphie du ballet et Riccardo Drigo, chef d'orchestre du Théâtre Mariinsky, en modifia la partition sur certains points. Cette mise en scène fut présentée pour la première fois le 15 janvier 1895. Enfin Le lac des cygnes reçut le succès qu'il méritait. Bien qu'il en existe plusieurs versions, celle-ci est la plus jouée par les compagnies de ballet. Actuellement, Le Lac des cygnes est un des ballets les plus célèbres. Il est joué régulièrement dans le monde entier. Il a donné lieu à de nombreuses versions parues en DVD.
L'intrigue
Le jeune prince Siegfried fête sa majorité. Sa mère lui annonce que le jour suivant, au cours d'un grand bal pour son anniversaire, il devra choisir une épouse. Vexé de ne pouvoir choisir celle-ci par amour, il se rend durant la nuit dans la forêt. C'est alors qu'il voit passer une nuée de cygnes. Une fois les cygnes parvenus près d'un lac, il épaule son arbalète, s'apprêtant à tirer, mais il s'arrête aussitôt ; devant lui se tient une belle femme vêtue de plumes de cygne blanches. Enamourés, ils dansent et Siegfried apprend que la jeune femme est en fait Odette. Un terrible sorcier, Von Rothbart, la captura et lui jeta un sort ; le jour, elle serait transformée en cygne et la nuit, elle redeviendrait femme. D'autres jeunes femmes et jeunes filles apparaissent et rejoignent Odette, près du Lac des Cygnes, lac formé par les larmes de ses parents lorsqu'elle fut enlevée par Von Rothbart. Ayant appris son histoire, le prince Siegfried, fort amoureux d'elle, ressent alors beaucoup de pitié pour elle. Il commence à lui déclarer son amour - ce qui rend le sort de plus en plus impuissant. Von Rothbart apparaît. Siegfried menace de le tuer mais Odette intervient ; si Von Rothbart meurt avant que le sort ne soit brisé, le sort sera irréversible. Le seul moyen de briser le sort est que le prince épouse Odette. Le lendemain, au bal, à la suite des candidates fiancées, survient le sorcier Rothbart, avec sa fille Odile, vêtue de noir (le cygne noir), qui est le sosie d'Odette. Abusé par la ressemblance, Siegfried danse avec elle, lui déclare son amour et annonce à la cour qu'il compte l'épouser. Au moment où vont être célébrées les noces, la véritable Odette apparaît. Horrifié et conscient de sa méprise, Siegfried court vers le lac des cygnes. La façon dont Odette apparaît diffère selon les différentes versions du ballet ; Odette arrive au château ou Von Rothbart montre à Siegfried une vision d'Odette.
Il existe différentes fins :
1) L'amour véritable d'Odette et de Siegfried vainc Von Rothbart, le prince lui coupe une aile et il meurt ;
2) Siegfried ayant déclaré son amour à Odile, il condamne, sans le savoir, Odette à demeurer un cygne pour toujours. Réalisant que ce sont ses derniers instants en tant qu'humain, elle se suicide en se jetant dans les eaux du lac. Le prince se jette lui aussi dans le lac. Cet acte d'amour et de sacrifice détruit Von Rothbart et ses pouvoirs et les amants s'élèvent au paradis en une apothéose ;
3) Siegfried court au lac et supplie Odette de lui pardonner. Il la prend dans ses bras mais elle meurt. Les eaux du lac montent et les noient ;
Siegfried ayant déclaré son amour à Odile, il condamne, sans le savoir, Odette à demeurer un cygne pour toujours. Odette s'envole sous la forme d'un cygne et Siegfried est abandonné dans le chagrin et la douleur lorsque le rideau tombe.
D'après le récit du neveu, Yuri Lvovich Davydov, et de la nièce, Anna Meck-Davydov, de Tchaïkovski, nous savons que celui-ci avait déjà créé auparavant un petit ballet appelé le Lac des Cygnes chez eux en 1871. Tchaïkovski avait l'habitude de réunir de petites œuvres dont il créait la musique et le scénario en une représentation. Selon son neveu, la Chanson des Cygnes, le fameux thème du Lac des Cygnes, avait été composée à cet effet. À cette époque, Tchaïkovski et Vladimir Begichev faisaient partie d'un groupe artistique de Moscou appelé le Salon de Shihovskaya et il semblerait que l'idée du Lac des Cygnes soit parue lors d'une réunion des membres du groupe. Le scénario du Lac des Cygnes est un cliché typique du ballet du XIXe siècle. Tchaïkovski composa la musique du ballet entre août 1875 et avril 1876. La Danse russe de l'acte III fut ajoutée en février 1877 et le Pas de deux de l'acte III en avril 1877. En 1875, Begichev demanda la partition du Lac des cygnes à Tchaïkovski pour un prix plutôt modeste de 800 roubles, et bientôt Begichev commença à choisir les artistes qui participeraient à la création du ballet. Le chorégraphe était le Tchécoslovaque Julius Reisinger (1827-1892) qui était alors engagé en tant que maître de ballet au Théâtre Bolchoï depuis 1873. La plupart des œuvres précédentes de Julius Reisinger, entre autres Kashchei (1873) et Stella (1875), avaient été très critiquées et jugées d'une qualité médiocre. Sa seule véritable réussite était un ballet sur Cendrillon appelé La Pantoufle de verre, qu'il avait composé à son arrivée au Théâtre Bolchoï.
Après l'échec d'un mariage de pure convenance, Tchaïkovski tente d'échapper à sa nature profonde et à son homosexualité dans une relation épistolaire idéalisée avec sa protectrice Nadedja von Meck. Cette relation purement platonique durera plus de quatorze ans.
Nadeja von Meck ne se doute jamais de la vraie nature de Tchaikovski mais elle lui écrit : « Piotr Illyich, avez vous aimé? Il me semble que non. Vous aimez trop la musique pour aimer une femme. »
De fait, la partition du Lac des cygnes est une composition révélatrice des aspirations et du tempérament d'un Tchaikovski poursuivi par le sentiment d'une implacable fatalité: son homosexualité. Comme Siegfried les amours féminines lui sont interdites. Le prince ne peut avoir de relation charnelle avec le cygne blanc symbole de pureté. Ceci serait contraire aux lois humaines. La création du Lac des cygnes et les représentations qui suivent sont une cruelle humiliation pour le compositeur qui la vit comme une nouvelle malédiction. Le ballet est retiré de l'affiche et tombe dans l'oubli. Un oubli qui dure dix huit ans. Il faut attendre la reprise de la chorégraphie par Petipa en 1890 pour redonner au Lac des cygnes la place qui lui revient.
en 1984 Rudolf Noureev signe pour l'Opéra de Paris une version à résonnance « freudienne », probablement la plus achevée, du Lac des cygnes. Noureev explique sa vision du ballet en ces termes : « Le lac des cygnes est pour moi une longue rêverie du Prince Siegfried [...] Celui-ci, nourri de lectures romantiques qui ont exalté son désir d'infini, refuse la réalité du pouvoir et du mariage que lui imposent son précepteur et sa mère [...]. C'est lui qui, pour échapper au destin qu'on lui prépare, fait entrer dans sa vie la vision du lac, cet « ailleurs » auquel il aspire. Un amour idéalisé naît dans sa tête avec l'interdit qu'il représente. Le cygne blanc est la femme intouchable, le cygne noir en est le miroir inversé. Aussi, quand le rêve s'évanouit, la raison du Prince ne saurait y survivre. »
C'est de là que naît une vision psychanalytique et introspective de l'oeuvre tant dans le traitement du récit que dans le développement des personnages. L'oeuvre gagne un surcroît de complexité dans un subtil jeu de miroirs identitaires. Tout en restant très proche du livret imaginé par Petipa, le danseur étoile révise la chorégraphie (rendant ainsi certains passages d'une exécution difficile) et arrange la partition. Le bouffon, un ajout d'Alexandre Gorski, est certainement brillant mais sans utilité dans l'intrigue. Il est supprimé au profit de Wolfgang, le précepteur du Prince. Wolfgang devient dans la version de Noureev, un personnage équivoque et manipulateur, alter ego, miroir identitaire du magicien Rothbart qui a ensorcelé les cygnes et qui, à terme, conduit le Prince à sa perte. Il éclaire ainsi de façon magistrale le rôle de l'inconscient dans l'oeuvre de Tchaikovski et donne la mesure du drame intime que vit le compositeur dans son homosexualité. Le cygne blanc symbolise la pureté inaccessible car un amour charnel ne peut exister entre un cygne et un humain. C'est là la malédiction vécue par Tchaikovski. Le changement le plus important réside dans le finale. Noureev s'éloigne franchement de l'image traditionnelle des deux protagonistes réunis dans une sorte d'apothéose idyllique rêvée. Il conçoit une scène plus cruelle pour Odette, la princesse cygne. Elle est emportée dans les griffes de l'affreux Rothbart sous les yeux d'un Prince paralysé par son impuissance. Cette image est précisément la résurgence du rêve de Siegfried avec lequel l'histoire commence. Au finale, elle devient la concrétisation du cauchemard à la fois récurrent et redouté auquel il ne peut échapper. La constante oppopsition entre l'imaginaire et le réel, jeu de miroirs identitaires qui n'ont cessé de s'affronter dans son esprit, débouche inexorablement sur la folie... Le sentiment de cette fatalité parcourt la partition d'un bout à l'autre. Elle est magnifiquement rendue par cette version de Noureev. De tous les ballets que Noureev aura légués à l'Opéra de Paris, celui-ci est, à coup sûr, son oeuvre la plus personnelle.
« Le Lac des cygnes de Noureev est devenu pour nous une référence », explique Charles Jude en 1997[réf. souhaitée]. « Pour ma part, je l'ai considéré dès le début comme la meilleure version, mais ce n'était pas le cas de tout le monde. En fait, Noureev a éliminé tout ce qui était démodé et donné un vrai rôle a chacun et pas seulement aux solistes. Son ballet est construit comme un rêve. Siegfried aime les lectures romantiques et pour échapper au mariage sans amour que veulent lui imposer sa mère et son précepteur il se réfugie dans un monde imaginaire. Il tombe éperdument amoureux d'Odette, une princesse qui vit près d'un lac enchanté et qui est l'image de sa femme idéale. Rothbart, le cruel magicien qui prend les traits du tuteur, l'a transformé en cygne. Elle ne reprend sa forme humaine que la nuit. Il ne faut pas voir dans la fin le triomphe du mal, mais la quête sans cesse renouvelée d'une perfection jamais atteinte. »
source : wikipédia