Roger Bourdin (1923-1976) est un flûtiste français. Élève de Jacques Chalanda, alias Denis Bourdin, puis de Fernand Caratgé, il obtient son Premier Prix dans la classe de Marcel Moyse au Conservatoire de Paris en 1939. Un an plus tard, il rentre en tant que flûte solo à l'Orchestre de l'Association des Concerts Lamoureux, où il terrorisera plus de 23 ans. Mais il a également, pour reprendre son propre terme, le "vice" du piano. Il suit la classe de composition lors de son passage au Conservatoire de Paris - où il aime à faire danser les élèves en jouant à quatre mains avec son ami Pierre Petit ! - et reçoit un Premier Prix d'harmonie au Conservatoire de Versailles en 1941. Cette ville va devenir en quelque sorte son fief: il y est nommé professeur de flûte dès 1943 et conservera ce poste jusqu'à sa mort. Soliste de l'Orchestre de chambre de Versailles que dirige alors Bernard Wahl, il fonde en outre le Trio de Versailles en 1967, en compagnie de la harpiste Annie Challan et de l'altiste Colette Lequien. Leur gravure de la Sonate de Debussy est une référence...
Le son de Bourdin est unique par sa chaleur. Une compilation récente co-éditée par Philips, Decca et Accord, comporte trois arrangements de Roger Bourdin interprétés par lui-même. Il s’agit d’ Après un Rêve de Gabriel Fauré, du fameux Greensleeves et d’un Prélude de Frédéric Chopin. Ce genre d’adaptations libres était à l’époque très mal vu des puristes, mais Bourdin ne faisait qu'annoncer l’arrivée de James Galway qui allait dépoussiérer la flûte traversière. Sa carrière prend en fait dès le départ une double orientation : à côté d'un disque du concerto pour flûte et harpe de Mozart avec Lily Laskine et Hermann Scherchen, le catalogue Ducretet Thomson fait déjà dans les années 1950 la part belle à " Roger Bourdin, ses flûtes et son orchestre", qui gravent sans discontinuer musiques de danse et pièces légères. On y trouve en vedette un quatuor de flûtes qu'il a créé en réunissant autour de lui Pol Mule, Eugène Masson et... Jean-Pierre Rampal ! Robert Hériché, Léon Gamme et Jacques Royer en feront plus tard eux aussi partie. Soliste de l'ORTF, il écrit également pour la radio, la télévision et le cinéma de nombreuses musiques d'ambiances. Il laisse volontiers cours à son invention mais se délecte souvent à revisiter les classiques. Il signe ainsi quelques savoureux albums sur Bach « Sweet en Si » ou Vivaldi, dont il enregistre deux des Quatre Saisons en les parant d'étonnantes conclusions jazzy ! Son talent d'improvisateur n'est pas en reste : on en voudra pour exemple le solo de flûte qui a rendu célèbre la chanson de Jacques Dutronc Il est cinq heures, Paris s'éveille... Très vite adepte de la nouvelle technique du re-recording, il entretient une collaboration étroite avec son luthier Jacques Lefevre. Roger Bourdin est un interprète hors pair sur le piccolo, et les fameux concertos de Vivaldi auront toujours une place particulière dans son répertoire. Mais, surtout, "Jack Leff" réalise pour lui une flûte basse en ut. Mentionnée avec une petite touche d'exagération pardonnable car l'instrument était loin d'être courant ! - sur certains disques comme "la seule et unique au monde", elle lui permet non seulement de colorer différemment certaines mélodies, mais encore d'enregistrer lui-même toutes les parties dans ses innombrables adaptations. En effet, ses incursions dans la musique légère ou récréative n'altèrent en rien son extrême exigence de qualité. Intraitable sur la mise en place, il laisse dans son abondante discographie de nombreux exemples de sa qualité d'exécution. Sa carrière classique est un peu occultée par celle de Jean-Pierre Rampal. Elle est cependant remarquable et surtout très différente. Ainsi ne trouve-t-on nulle trace, par exemple, du moindre récital pour flûte et piano ou flûte et clavecin... ! Il ne dédaigne pas le grand répertoire et réalisera des enregistrements avec orchestre, mais sa préférence ira davantage à des anthologies flûte & harpe avec Annie Challan, ou encore flûte & orgue avec son directeur artistique Arnauld de Froberville, autant d'albums qui connaîtront un grand succès populaire.
Roger Bourdin est né le 27 janvier 1923 à Mulhouse de parents fonctionnaires passionnés de musique ; la mère pianote, le père, fin lettré, plein d’humour, pousse la chansonnette à la fin des repas. Comme l’enfant montre des dispositions, le père muté à Versailles va trouver le directeur du conservatoire, Claude Delvincourt, un homme étonnant : «S’il aime la musique, on le saura très vite. Mais qu’il apprenne le solfège d’abord et si cela se passe bien dans deux ans, qu’il apprenne un instrument à vent ! J’ai un très bon professeur de flûte, Jacques Chalanda», ancien militaire, rigoureux, discipliné, à qui les élèves n’osent même pas demander d’aller faire pipi! Après avoir obtenu le 1er Prix de flûte à douze ans, c’est celui de Paris qu’il acquiert en 1939 dans la classe de Marcel Moyse. «Une carrière s’engage… C’est une espèce de petit brevet gentil. On en fait un mythe admirable. C’est logique quand on est jeune mais on s’aperçoit une fois qu’on l’a que tout reste à faire. Si je travaillais la flûte quatre à cinq heures par jour, j’avais un vice merveilleux : le piano. Dans mon for intérieur, je voulais être pianiste. Je le travaillais en douce, ainsi que l’harmonie.» Au point d’accompagner sa sœur Madeleine dans les mélodies de Fauré. «Il avait une oreille exceptionnelle. Rien ne lui échappait.» Sur les instances de Delvincourt, il apprend l’harmonie et obtient à Versailles son 1er Prix à 17 ans. Soliste à la Radio en 1938, il est admis en 1940 aux Concerts Lamoureux, «un privilège qui n’a pas de prix.» Comme Moyse, Fernand Caratgé est émerveillé par cet adolescent doué à la si belle qualité de son. Pour ce grand flûtiste («le plus sublime de mes maîtres», confiait Roger), c’est un bonheur d’avoir à ses côtés ce jeune qu’il considère comme un fils. Et quelle grandeur d’âme de lui confier la partie de flûte solo du Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy devant une Salle Pleyel comble. C’est l’occupation. «Contemporain de Maurice Allard, Pierre Pierlot et Jacques Lancelot, j’étais des classes mobilisables. Les Allemands qui respectaient la musique ont un peu respecté les musiciens. Un jour, une espèce de commandant allemand, directeur de la musique, est venu écouter l’Orchestre Lamoureux. Il l’a trouvé tellement extraordinaire qu’il l’a mobilisé sur place!». Roger Bourdin occupera vingt-sept ans ce poste de flûte solo, parcourant le monde entier sous la baguette des plus grands chefs d’orchestre (Paul Paray, Eugène Bigot «peut-être le plus fantastique bras qui ait pu exister. La précision totale», Pierre Monteux, Igor Markevitch, etc. «Leonard Bernstein, le plus sensible chef que j’ai connu, et Ferenc Fricsay sont deux êtres qui m’ont bouleversé. Je me rappelle très bien de l’orchestre pleurant en jouant avec eux, sanglotant. J’ai vu mon maître Caratgé dans la 9ème de Beethoven les larmes coulant sur ses joues. J’ai vu des violonistes tremblant d’émotion, le visage blême tellement on avait quitté la terre à ce moment-là.». À cet égard, son plus beau souvenir restera son solo deDaphnis et Chloé de Ravel dirigé par Charles Münch au Théâtre antique Dionysos d’Athènes sous l’Acropole. Ils se retrouvent dans les toilettes avant le concert. «Il me dit : mon p’tit gars, joue comme ce matin. Chante, je te suivrai, chante. Je me suis dit : mon pauvre Bourdin. C’est inimaginable la vie riche que tu as. Tu es flûtiste. Tu as la chance de jouer la musique des dieux écrite par un dieu dans ce cadre unique au monde. J‘ai eu un bouleversement de mon être. Je pense que je ne l’ai jamais aussi bien joué, avec autant d’émotion». Carrière en orchestre symphonique mais aussi en musique de chambre : Il fonde en 1945 un quatuor de flûtes avec Pol Mule, Jean-Pierre Rampal et Masson. «Avec Jean-Pierre, nous avons fait entre 47 et 50 toutes les sambas enregistrées sur disques 78 tours.». Jacques Royer, Robert Hériché, Vigneron, Léon Gamme, gens de talent, surtout de grands classiques, leur succéderont. En 1967, c’est le trio de Versailles avec l’altiste Colette Lequien et la harpiste Annie Challan avec laquelle il formera un duo. Ils écument la France pour le compte des Jeunesses Musicales de France (JMF). Par ailleurs, il créé de nombreuses œuvres comme cette Rapsodie pour flûte et orchestre de Wal-Berg ou ce Concerto pour quatre flûtes successives composé par Pierre Ancelin. Roger n’était pas peu fier d’avoir été le pionnier de la flûte basse, fruit d’une étroite collaboration avec le luthier (et ancien élève) Jacques Lefevre, le futur Jack Leff. Ravel, Debussy, Fauré ont été évoqués. Des compositeurs vénérés au même titre que Mozart et surtout Bach : «Je pense sérieusement que c’est Dieu le Père en musique. Cet être exceptionnel avait tout compris : les pulsations de cœur, d’élévation de l’âme et surtout le côté rythmique de la musique, cet instinct du rythme que possédaient les grands maîtres du dix-huitième siècle. Quand j’entends l’Aria, l’un des plus beaux thèmes jamais écrits, c’est pour moi la musique complète, totale, d’une inspiration fantastique. Les harmonies sont sublimes. Et en, même temps, il y a ce continuo du violoncelle qui me fait penser au plus beau slow qu’on puisse danser avec la femme aimée. C’est la musique spirituelle et sensuelle» L’enseignement comme un sacerdoce. «Professseur et soliste se complètent. Les élèves m’apprennent à être soliste. Quel fantastique enrichissement ! C’est passionnant.». Même si certains aspects des cours pouvaient apparaître « folkloriques », le professeur était intransigeant dans sa rigueur de l’enseignement mais respectait la personnalité de chacun. D’une disponibilité souriante, il portait un amour total à ses élèves qui l’adoraient, les suivant et les aidant dans leurs carrières. C’était le grand ami qui ne faisait pas payer les cours particuliers aux militaires ou aux étudiants fauchés qui repartaient même avec un casse-croûte. Après un concours, quand il était membre d’un jury, il allait parler à chaque candidat. «Cette atmosphère de jeunesse me fait rester très gosse, déclarait-il an 1969. Je souhaite, je voudrais être un homme d’avenir. J’ai une mentalité de plus en plus jeune». Le personnage était chaleureux, prêt à tout, le moral (apparemment) au beau fixe en permanence. Des réparties pleines d’esprit fusaient comme celle-ci, fameuse, quand, présenté à un pianiste efféminé qui lui dit «je ne vous serre pas la main car je suis pianiste», il répond du tac au tac : «Et moi, je ne vous embrasse pas sur la bouche car je suis flûtiste.». L’âme gagnant sans doute à ne pas trop se prendre au sérieux, il coupait court au «maître», par un «mettez un terme au maître», lui qui pensait qu’ «on est si peu de chose». Plusieurs fois Grand Prix du Disque, il en ressentait viscéralement tous les genres sauf peut-être le contemporain. Prenant les choses à cœur et s’usant à la tâche, sa carrière fut aussi riche que diversifiée; chef-d’orchestre aux casinos d’Aix-en-Provence en 1950, d'Enghien, d'Arcachon, des Sables-d'Olonnes ou encore de Pontaillac, directeur du conservatoire de Marly-le-Roi en 1971. On lui a beaucoup reproché sa facilité. Son côté touche-à-tout était en fait un amour immodéré de la musique. «Elle m’a tout apporté, tout donné. Je ne peux absolument pas vivre sans. Je l’aime sans réserves ni frontières, mais parfaitement interprétée. Ceux qui n'aiment pas, ne ressentent pas la musique, n'ont pas de chance». D’avoir flirté avec certains genres qui n’ont pas de reconnaissance officielle (le jazz - «Duke Ellington fut l’instigateur de mon amour pour le jazz. J’ai eu un choc extraordinaire en écoutant Caravan» - , la musique légère «que d’aucuns méprisent à tort», la chanson avec les Frères Jacques, la variété sous le pseudonyme de Red Moore !) lui aura coûté, voire posé des problèmes au niveau carrière, d’autant qu’il évitait de sortir énormément. Il détestait les cocktails : «J’ai trop à faire, à travailler mon instrument, à me perfectionner… Il ne faut pas désarmer; il faut toujours essayer de jouer des œuvres difficiles sinon on se rouille et c’est fini, c’est la dégringolade implacable.». Il n’aura jamais égratigné qui que ce soit. Ressenti comme une injustice, le fait de n’avoir jamais été nommé professeur au Conservatoire National Supérieur de Paris fut sa petite tristesse secrète.
Sorti en mars 1968 et régulièrement cité parmi les plus belles chansons françaises, ce titre fut classé récemment le meilleur de ces cinquante dernières années. «J’enregistre du Jean-Sébastien Bach chez Vogue quand, tout à coup, le directeur artistique de Jacques Dutronc vient me trouver. «Ecoute Roger, nous sommes en panne avec Dutronc. Il a fait un truc très sympathique hier mais il y a des trous partout. Comme tu improvises bien, ne pourrais-tu pas les boucher ?» Je maugréé un peu. Finalement, de guerre lasse et après qu’ils m’aient amené une petite bouteille de Bordeaux, je fais deux prises en dix minutes. Je dis à tous mes élèves, à tous les musiciens : faites de l’harmonie, vous aurez des joies inégalables. Je pense que le fait d’être harmoniste, d’être musicien plus complet, m’a permis de réaliser ce solo». Une hémorragie cérébrale le terrassa le 23 septembre 1976 alors qu'il donnait un cours d’interprétation.
source : wikipédia